Lettre ouverte pour le lac du
Bourget
Qu'il
soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau
lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et
dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui
pendent sur tes eaux.
Que
le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
Tout dise : « Ils ont
aimé ! »
L’un des objectifs de l’association
Acclame est de sensibiliser la population, les acteurs économiques, les élus,
aux enjeux de la protection et de la promotion du patrimoine naturel et
historique de notre région. Alors que la nouvelle
collectivité territoriale Grand Lac souhaite récupérer la propriété du Domaine
Public Fluvial du lac du Bourget et
qu’elle crée une nouvelle image de marque du territoire avec la dénomination
Riviera des Alpes, il nous parait important de réfléchir ensemble à l’avenir du
lac et de son environnement.
Le lac du Bourget, plus grand lac
naturel de France (44,5 km² et 4
milliards de m 3) est le vestige d’un immense lac d’origine
glaciaire de 1000km² qui s’étendait d’Aiguebelle en Basse Maurienne jusqu’à la
cluse de Voreppe en aval de Grenoble d’une part, et jusqu’au Grand Colombier et
au défilé de la Balme en aval de Yenne d’autre part. On estime que ses
dimensions actuelles (18 km de long, 3,5 km de large, 145 m de profondeur) sont
stabilisées depuis la fin de la dernière glaciation. Son état sauvage et romantique, chanté par
Lamartine, a été de plus en plus altéré au cours du XXème siècle : pollutions dues aux PCB
et autres produits chimiques transportés par le Tillet et la Leysse, qui ont
amené des restrictions pour la pêche et la consommation de certaines espèces de
poissons; réaménagements des deltas des différents affluents : Leysse , Tillet, Sierroz ; stabilisation
du niveau du lac par l’intermédiaire du barrage de Savière qui a fait
disparaître les marnages naturels et l’inversion fréquente du sens d’écoulement du canal de Savière
(phénomène rarissime dans le monde). Actuellement, l’Etat, propriétaire et
gestionnaire du lac, en assure la police de la navigation, la police de l’eau
et la préservation du littoral au profit de la collectivité nationale et dans
le respect des équilibres écologiques et socio-économiques, en partenariat avec les divers acteurs locaux, régionaux et
nationaux. Pour protéger son authentique richesse naturelle, le lac du Bourget
bénéficie, sur sa globalité, d’un classement au titre des sites inscrits, de
Natura 2000 et de la convention de Ramsar sur les zones humides d’importance
internationale, tout en abritant un vaste Arrêté de Protection Préfectoral de
Biotope dans son sud, ainsi que d’importantes réserves domaniales de chasse et
de faune sauvage et des terrains, propriétés inaliénables du Conservatoire du
Littoral.
Pour ses partisans, le transfert
de propriété du lac aurait l’avantage de la cohérence et donc de l’efficacité,
puisque la même entité aurait la responsabilité du lac et de ses abords. Les
décisions seraient prises au plus près du terrain par des personnes connaissant
les lieux, les usages en vigueur et les diverses attentes de la population.
Cependant l’on peut craindre qu’une telle concentration, en supprimant
finalement tout contre-pouvoir, soit source de problèmes. Les collectivités
sont-elles vraiment à l’abri des pressions des lobbies et du clientélisme ?
Ne va-t-on pas chercher à satisfaire les intérêts des uns et des autres et
imposer des projets contestables d’un point de vue écologique, paysager et
patrimonial ? A cet égard, la campagne de communication sur le thème de la
Riviera des Alpes peut soulever quelques inquiétudes. Si le transfert de
propriété implique un désengagement de l’Etat, il faudra que la collectivité
prenne à sa charge ses missions (gestion du domaine public, police de la
navigation par exemple), mais à quel prix ? D’une manière générale, la
présence active de l’Etat nous semble indispensable car le lac n’a pas
qu’un intérêt strictement local ou régional, comme le montrent les protections
juridiques évoquées plus haut. La
conservation du patrimoine naturel ne
peut être soumise aux aléas de politiques définies localement. L’avenir du lac
doit faire l’objet de concertation entre tous ceux qui s’y intéressent (élus,
usagers, professionnels, associations, organismes publics). Dans cette
perspective, des instances de dialogue comme le Comité des usagers du lac sont
nécessaires dans la mesure où elles permettent de coordonner les actions et de
simplifier les procédures de décision, et dans la mesure également où les projets sont
présentés en amont.
Pourtant, il faut être conscient
que les intervenants sur le lac n’ont pas tous les mêmes objectifs ni les mêmes priorités.
Les uns cherchent à développer des activités de loisir et de tourisme, ce qui
peut conduire à faire du lac un grand stade nautique, et des bords du lac des
lieux de promenade et de détente, qui se transforment souvent en entonnoirs
pour une foule bruyante, déversée de parkings qui sont de véritables
aspirateurs à voitures. Les autres cherchent à préserver le lac pour
lui-même : qualité de l’eau, maintien de la biodiversité (tant de la faune
que de la flore) de façon à ce que l’écosystème ne se dégrade pas et constitue
un exemple de bonne gestion éco citoyenne. Mais peut-on conjuguer protection de
la nature et développement économique et
touristique ? Les choses ne sont pas si simples et il faut savoir où
mettre les priorités. Si l’objectif premier est l’exploitation du lac pour le
tourisme et les loisirs, le danger est réel d’un aménagement de plus en plus
poussé du lac et de ses abords, lui enlevant peu à peu son caractère naturel et
sauvage pour en faire un ersatz de Riviera. Mais d’autre part, mettre en avant
la protection du lac et des espèces qui y vivent conduit nécessairement à
en limiter l’exploitation. Or cette
limitation nous paraît être une chance,
une occasion de découvrir un nouveau rapport à la nature qui n’est plus
alors envisagée simplement comme un décor, un spectacle ou une ressource à
exploiter. Il s’agit donc d’instaurer une relation apaisée à notre
environnement, permettant de le goûter par tous nos sens. Il s’agit d’apprendre
non seulement à voir, mais aussi à
écouter, à sentir, à toucher. Il s’agit de reconnaître que nous dépendons de
cette nature, qu’elle est le matériau de notre existence. C’est à ces
conditions que les interventions sur le paysage pourront le magnifier au lieu de le défigurer.
C’est pourquoi nous
demandons :
- Le respect de la loi Littoral et des arrêtés de
protection
-
Le respect des règlements concernant la
fréquentation du lac et de ses abords (les
engins autorisés, la vitesse, la pollution sonore, les zones et les périodes
interdites)
-
La priorité donnée aux sports et loisirs qui
n’utilisent pas de moteurs thermiques, sources inévitables de multiples pollutions
(pollutions sonores, de l’eau, de l’air)
-
L’obligation, pour tout nouvel aménagement,
d’une information publique précise en amont,, d’une étude sérieuse et
indépendante pour en évaluer les impacts et d’une évaluation régulière de sa
pertinence
- L’obligation de réserver des zones sauvages sur
toutes les rives du lac
Nous sommes redevables de ce
formidable patrimoine aux générations précédentes et nous en sommes
responsables à l’égard des générations à venir : le lac restera-t-il encore
sous tous ses aspects (paysage, faune, flore) une source d’émerveillement
toujours renouvelé et un moyen de ressourcement qui ramène chacun à
l’essentiel ?