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Dominique Bourg lors de son exposé |
Vivre à l’anthropocène.
C'était le thème de notre soirée du 17 mars dernier au cinéma Victoria d'Aix-les-Bains, choisi par notre invité, le philosophe Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Nicolas-Hulot, que près de 200 personnes sont venues écouter avec intérêt.
Dans une intervention, claire et
très documentée scientifiquement, Dominique Bourg a établi la réalité de ce que
l’on appelle désormais l’anthropocène.
Ce terme est utilisé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a
débuté lorsque les activités humaines ont eu, sur l’écosystème terrestre, un
impact global significatif (et donc
enregistré dans les couches sédimentaires). Même si l’on ne peut pas déterminer
précisément ce début (la révolution néolithique avec l’invention de
l’agriculture et de l’élevage, la première révolution industrielle, les essais
nucléaires terrestres ?), toutes
les observations montrent un changement notable dans la composition :
-
de la
lithosphère (particulièrement des sols : concentration de métaux,
augmentation de la teneur en azote et phosphore, diminution des
microorganismes, à quoi on peut ajouter l’extraction des roches, des métaux, du
sable, des ressources fossiles comme le charbon, le pétrole, le gaz, ce qui
fait que l’homme déplace plus de matériaux à la surface de la Terre que les
seules forces naturelles),
-
de l’hydrosphère (acidification des océans,
pollution et/disparition des nappes aquifères, modification des cours
d’eau : l’homme déplace plus de sédiments que les rivières),
- de l’atmosphère (présence accrue de gaz à
effet de serre ou autres et de nouvelles particules)
Ce changement, dû sans conteste à l’activité
humaine, frappe par son ampleur et sa rapidité. Nos conditions naturelles de
vie dépendent d’un certain nombre de facteurs qui, depuis 10 000 ans,
variaient peu à l’intérieur de limites indispensables à leur maintien. Or pour
beaucoup de ces facteurs, ces limites
sont très largement dépassées, ce qui entraine un réchauffement climatique (nous venons de vivre l’hiver le
plus chaud jamais enregistré, ce qui confirme une tendance générale bien
établie), un rétrécissement de
l’écoumène (terres habitées et exploitées par les hommes), une chute de la biodiversité (les
naturalistes estiment qu’environ une espèce sur 50 000 s’éteint en un
siècle ; or nous constatons un emballement de ces extinctions qui
pourraient concerner 100 à 1000 espèces
par siècle en 2050 ; pour les seules espèces animales, le WWF a
dressé une liste de quelque 4000 espèces d’oiseaux, de poissons, de mammifères,
de reptiles et d ‘amphibiens ; elle montre que depuis 1970, les espèces
terrestres ont diminué de 25%, les espèces marines de 28% et les animaux vivant
en eau douce de 29%).
On peut sans doute atténuer la brutalité de
ces changements mais il faudra en tenir compte. Plusieurs scénarios sont
possibles :
-
Le
premier consiste à faire confiance au développement technicoscientifique, soit
pour réparer les dégâts constatés (avec la géo ingénierie, on pourrait par
exemple capter le CO2, refroidir l’atmosphère, etc... mais alors sans aucune
garantie d’efficacité : l’homme n’est pas face à un système qu’il pourrait
contrôler, il fait partie du système Terre et on ne peut prévoir comment le
système, étant donné sa complexité, va réagir à l’activité désordonnée de l’un
de ses éléments, si bien que le remède risque d’être pire que le mal), soit
pour faire advenir un nouveau type d’humain issu de la rencontre entre les
biotechnologies, les nanotechnologies, l’informatique et les sciences
cognitives (c’est l’objectif du transhumanisme qui promet de créer des êtres
aux capacités largement augmentées dans tous les domaines et quasiment
immortels, mais qui repose sur l’illusion de la toute-puissance de la technique
et qui est vecteur d’inégalités sociales de plus en plus grandes, alors qu’on
promeut par ailleurs le respect des droits humains, lesquels sont à comprendre
non pas comme la défense des intérêts privés des individus mais comme la
sauvegarde de la dignité de chacun).
-
La
seconde possibilité est de protéger de vastes espaces réservés à la vie sauvage et de concentrer la
population humaine dans des villes hyper technicisées (d’un côté la technique,
de l’autre la nature).
-
Le troisième scénario consiste à se débarrasser
de la mentalité consumériste, favorisée par le progrès technique, qui fait
croire que la vie de l’être humain peut être comblée par la possession et la
consommation de biens matériels, pour retrouver la dimension spirituelle de
l’existence, c’est-à-dire un idéal d’accomplissement de l’être humain, qu’il
soit religieux ou philosophique, qui donne un sens et une valeur à ce que l’on
fait (par exemple, pour Aristote, un être humain accompli est celui qui
privilégie la recherche rationnelle de la vérité, l’engagement dans la cité, la
dimension artistique). Dans cette perspective, on peut affronter sereinement
les difficultés de l’anthropocène, parce que l’on applique le principe de
précaution (on ne se focalise plus sur l’efficacité des moyens techniques,
mais sur leur véritable utilité et sur leurs conséquences pour les individus et
les sociétés), parce que l’on prône une
sobriété heureuse (avant de chercher à maîtriser la nature, il convient de
chercher à se maîtriser soi-même) et
parce que l’on n’attend pas la croissance comme le sauveur suprême. D’ailleurs
l’observation montre d’une part que les
jeunes générations sont réceptives à la dimension spirituelle de l’existence, et d’autre part que la croissance n’offre plus
ce qui la rendait désirable : le sentiment de bien-être, la création
d’emplois et la réduction des inégalités. Ce scénario est porté de plus en plus par de petits collectifs aux multiples
initiatives dans différents domaines, comme le montre le film Demain.
Dans l’échange qui a suivi,
plusieurs questions ont été abordées :
- la question de l’énergie, que l’on ne produit pas au sens strict du
terme, mais que l’on transforme, stocke ou transporte (il n’y a donc pas de
source d’énergie illimitée, même celle de fusion thermonucléaire ; une
croissance même modérée entraîne un épuisement très rapide des ressources, non
seulement de la Terre, mais de l’univers observable tout entier ;
l’estimation commune est de 5500 ans pour l’univers observable ; et même
si elle était possible, une énergie illimitée inciterait les hommes à
satisfaire sans compter tous leurs désirs, ce qui pose de redoutables problèmes
éthiques et politiques)
- la question de l’économie circulaire (le recyclage n’est efficace que
si la croissance est faible)
- la question de la démographie (il est vrai que la pression
démographique accentue les problèmes : s’il n’y avait que 400 millions
d’humains sur Terre, on ne parlerait pas d’anthropocène).
En seconde partie de soirée, la projection du film Les saisons, proposait une
nouvelle approche, plus intuitive, plus
sensible. La beauté des images, le spectacle des animaux sauvages, furent
autant d’occasions de s’émerveiller et
de ressentir que nous sommes parties prenantes du système Terre. L’heureuse
cohabitation des chasseurs-cueilleurs avec les animaux est à réinventer aujourd’hui. " Les animaux nous offrent l’ultime chance de rester humains
et de ne pas être définitivement seuls. Les animaux ont appris au cours des
millénaires à composer avec les hommes. A notre tour aujourd’hui d’apprendre,
ou de réapprendre à mieux les connaître
et à leur faire une place. Il existe mille et une façons de respecter la nature
et de vivre avec elle. "
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Dominique Bourg entouré de membres d'Acclame |