lundi 8 mai 2017




Lettre ouverte pour le lac du Bourget
           

        Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
        Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
        Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
        Qui pendent sur tes eaux.
           Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
           Que les parfums légers de ton air embaumé,
           Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
           Tout dise : « Ils ont aimé ! 
»



L’un des objectifs de l’association Acclame est de sensibiliser la population, les acteurs économiques, les élus, aux enjeux de la protection et de la promotion du patrimoine naturel et historique de notre région. Alors que la nouvelle collectivité territoriale Grand Lac souhaite récupérer la propriété du Domaine Public Fluvial du lac du Bourget  et qu’elle crée une nouvelle image de marque du territoire avec la dénomination Riviera des Alpes, il nous parait important de réfléchir ensemble à l’avenir du lac et de son environnement.
Le lac du Bourget, plus grand lac naturel  de France (44,5 km² et 4 milliards de m 3) est le vestige d’un immense lac d’origine glaciaire de 1000km² qui s’étendait d’Aiguebelle en Basse Maurienne jusqu’à la cluse de Voreppe en aval de Grenoble d’une part, et jusqu’au Grand Colombier et au défilé de la Balme en aval de Yenne d’autre part. On estime que ses dimensions actuelles (18 km de long, 3,5 km de large, 145 m de profondeur) sont stabilisées depuis la fin de la dernière glaciation. Son  état sauvage et romantique, chanté par Lamartine, a été de plus en plus altéré au cours du  XXème siècle : pollutions dues aux PCB et autres produits chimiques transportés par le Tillet et la Leysse, qui ont amené des restrictions pour la pêche et la consommation de certaines espèces de poissons; réaménagements des deltas des différents affluents :  Leysse , Tillet, Sierroz ; stabilisation du niveau du lac par l’intermédiaire du barrage  de Savière qui a fait disparaître les marnages naturels et l’inversion fréquente  du sens d’écoulement du canal de Savière (phénomène rarissime dans le monde). Actuellement, l’Etat, propriétaire et gestionnaire du lac, en assure la police de la navigation, la police de l’eau et la préservation du littoral au profit de la collectivité nationale et dans le respect des équilibres écologiques et socio-économiques, en partenariat  avec les divers acteurs locaux, régionaux et nationaux. Pour protéger son authentique richesse naturelle, le lac du Bourget bénéficie, sur sa globalité, d’un classement au titre des sites inscrits, de Natura 2000 et de la convention de Ramsar sur les zones humides d’importance internationale, tout en abritant un vaste Arrêté de Protection Préfectoral de Biotope dans son sud, ainsi que d’importantes réserves domaniales de chasse et de faune sauvage et des terrains, propriétés inaliénables du Conservatoire du Littoral.
Pour ses partisans, le transfert de propriété du lac aurait l’avantage de la cohérence et donc de l’efficacité, puisque la même entité aurait la responsabilité du lac et de ses abords. Les décisions seraient prises au plus près du terrain par des personnes connaissant les lieux, les usages en vigueur et les diverses attentes de la population. Cependant l’on peut craindre qu’une telle concentration, en supprimant finalement tout contre-pouvoir, soit source de problèmes. Les collectivités sont-elles vraiment à l’abri des pressions des lobbies et du clientélisme ? Ne va-t-on pas chercher à satisfaire les intérêts des uns et des autres et imposer des projets contestables d’un point de vue écologique, paysager et patrimonial ? A cet égard, la campagne de communication sur le thème de la Riviera des Alpes peut soulever quelques inquiétudes. Si le transfert de propriété implique un désengagement de l’Etat, il faudra que la collectivité prenne à sa charge ses missions (gestion du domaine public, police de la navigation par exemple), mais à quel prix ? D’une manière générale, la présence active de l’Etat nous semble indispensable car le lac n’a pas qu’un intérêt strictement local ou régional, comme le montrent les protections juridiques  évoquées plus haut. La conservation du patrimoine naturel  ne peut être soumise aux aléas de politiques définies localement. L’avenir du lac doit faire l’objet de concertation entre tous ceux qui s’y intéressent (élus, usagers, professionnels, associations, organismes publics). Dans cette perspective, des instances de dialogue comme le Comité des usagers du lac sont nécessaires dans la mesure où elles permettent de coordonner les actions et de simplifier les procédures de décision, et  dans la mesure également où les projets sont présentés en amont.
Pourtant, il faut être conscient que les intervenants sur le lac n’ont pas tous  les mêmes objectifs ni les mêmes priorités. Les uns cherchent à développer des activités de loisir et de tourisme, ce qui peut conduire à faire du lac un grand stade nautique, et des bords du lac des lieux de promenade et de détente, qui se transforment souvent en entonnoirs pour une foule  bruyante, déversée  de parkings qui sont de véritables aspirateurs à voitures. Les autres cherchent à préserver le lac pour lui-même : qualité de l’eau, maintien de la biodiversité (tant de la faune que de la flore) de façon à ce que l’écosystème ne se dégrade pas et constitue un exemple de bonne gestion éco citoyenne. Mais peut-on conjuguer protection de la nature  et développement économique et touristique ? Les choses ne sont pas si simples et il faut savoir où mettre les priorités. Si l’objectif premier est l’exploitation du lac pour le tourisme et les loisirs, le danger est réel d’un aménagement de plus en plus poussé du lac et de ses abords, lui enlevant peu à peu son caractère naturel et sauvage pour en faire un ersatz de Riviera. Mais d’autre part, mettre en avant la protection du lac et des espèces qui y vivent conduit nécessairement à en  limiter l’exploitation. Or cette limitation nous paraît être une chance,  une occasion de découvrir un nouveau rapport à la nature qui n’est plus alors envisagée simplement comme un décor, un spectacle ou une ressource à exploiter. Il s’agit donc d’instaurer une relation apaisée à notre environnement, permettant de le goûter par tous nos sens. Il s’agit d’apprendre non seulement à voir,  mais aussi à écouter, à sentir, à toucher. Il s’agit de reconnaître que nous dépendons de cette nature, qu’elle est le matériau de notre existence. C’est à ces conditions que les interventions sur le paysage pourront  le magnifier au lieu de le défigurer.
C’est pourquoi nous demandons :
-                  Le respect de la loi Littoral et des arrêtés de protection
-          Le respect des règlements concernant la fréquentation du lac et de ses abords  (les engins autorisés, la vitesse, la pollution sonore, les zones et les périodes interdites)
-          La priorité donnée aux sports et loisirs qui n’utilisent pas de moteurs thermiques, sources inévitables de multiples pollutions (pollutions sonores, de l’eau, de l’air)
-          L’obligation, pour tout nouvel aménagement, d’une information publique précise en amont,, d’une étude sérieuse et indépendante pour en évaluer les impacts et d’une évaluation régulière de sa pertinence
-               L’obligation de réserver des zones sauvages sur toutes les rives du lac
Nous sommes redevables de ce formidable patrimoine aux générations précédentes et nous en sommes responsables à l’égard des générations à venir : le lac restera-t-il encore sous tous ses aspects (paysage, faune, flore) une source d’émerveillement toujours renouvelé et un moyen de ressourcement qui ramène chacun à l’essentiel ?



lundi 16 janvier 2017

Voeux pour 2017





 Bonne année 2017 à tous. Que les mois qui viennent  vous permettent de vivre en harmonie avec vos proches et avec la nature. Qu’ils nous permettent à tous d’enraciner nos convictions écologiques dans l’expérience vécue de notre solidarité profonde avec  les éléments naturels et tous les êtres vivants.

lundi 19 décembre 2016

Ville à la campagne, campagne à la ville




Lotissement  pavillonnaire


La mise en place du PLUi de Grand Lac pose le problème de l’étalement urbain et de la préservation des surfaces cultivées. En France, entre 1960 et 2010, la superficie agricole a baissé de 20%, soit 7 millions d’hectares. Les villes mordent sur les campagnes et continuent de s’étaler plus rapidement que leur population ne s’accroit, et ce rythme s’accélère. Jusqu’à ces dernières années, l’équivalent de la superficie d’un département disparaissait tous les 10 ans, désormais c’est un département tous les 7 ans qui disparait. Ce phénomène est critiquable tant au point de vue écologique qu’au point de vue social. L’expansion du bâti autour des villes qui, outre les immeubles d’habitation, nécessite de nombreuses infrastructures comme les voiries, modifie le paysage en le fragmentant, contribue à l’imperméabilisation des sols qui déséquilibre les dispositifs régulateurs naturels  des intempéries, conduit à une intensification des déplacements automobiles, source de pollution atmosphérique (ozone, particules fines). Elle fait augmenter le prix du foncier, crée des conflits entre les activités agricoles et les modes de vie urbains, entre les anciens et les nouveaux habitants. Par ailleurs, l’espace périurbain est sans qualités propres (on parlera ainsi de communes dortoirs).  Pour lutter contre l’aggravation de ce phénomène, plusieurs  pistes sont envisageables. D’abord, une limitation quantitative de l’étalement des agglomérations, par la création de ceintures vertes, de trames vertes et bleues,  par le renouvellement urbain (reconstruire la ville sur la ville), la densification urbaine (préférer l’ascenseur à la voiture), le maintien d’activités économiques et commerciales en centre-ville qui peut s’accompagner d’un verdissement d’un cadre de vie devenant ainsi plus convivial. Puis une amélioration de la qualité de l’espace péri-urbain, par la,  par un entremêlement volontaire et pensé des types d’occupation et de fonction de l’espace pour satisfaire autant que faire se peut les demandes (contradictoires) de proximité avec la nature et d’accessibilité aux services, de qualité des environnements et de développement des emplois,  par la création d’espaces publics de nature (aménagement d’espaces naturels jouant pour la périphérie le rôle des places et des rues pour le centre) . Cette revalorisation de l’espace péri-urbain, qui peut prendre la forme du village-jardin, se complète par la mise en valeur des espaces agricoles et par le soutien à une agriculture raisonnée de proximité, à même de nourrir le territoire sans le polluer. Il faut réinventer la périurbanisation, non  pas seulement par des règles venues d’en haut, mais par la négociation entre toutes les parties prenantes



Jardin à la rue



vendredi 18 novembre 2016

LE BILLET DE NOVEMBRE 2016








 Linky : un compteur     qui vous veut du bien ?

Les compteurs Linky ont été prévus par une directive européenne de juillet 2009 dans le but de « favoriser la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d’électricité »  et leur déploiement a été décidé dans la loi sur la transition énergétique de juillet 2015. Pourtant ce déploiement ne fait pas l’unanimité : plusieurs associations et certains élus s’y opposent, estimant que ces compteurs ne sont pas réellement utiles pour les consommateurs et peuvent même représenter un danger. Rappelons que ces compteurs permettront en premier lieu (mais d’autres fonctionnalités sont prévues, notamment pour des offres tarifaires adaptées) de relever les consommations à distance. L’avantage pour le distributeur ENEDIS est de ne plus envoyer d’agents pour faire le relevé et d’avoir en temps réel une vision de la consommation des ménages et des entreprises, lui permettant de faire converger l’offre et la demande. Pour le consommateur, le seul et minime avantage est d’éviter des factures de rattrapage parfois douloureuses. ENEDIS fait valoir que le suivi de sa consommation en direct incite à des économies, ce que les études ne confirment pas sur une période de plusieurs mois. De plus, l’accès à ce service nécessite d’adjoindre au compteur un afficheur déporté payant dans la plupart des cas. Les factures d’électricité risquent donc d’être alourdies. Certes l’installation est gratuite, mais son coût pourrait être répercuté via le tarif d’acheminement de l’électricité. Inutiles, les compteurs Linky pourraient également représenter un danger. En premier lieu, ils posent un problème de santé publique : la technologie CPL (courant porteurs en ligne) qu’ils utilisent émet des rayonnements, dont l’impact sanitaire fait polémique faute d’une étude indépendante, difficile à obtenir (l’Agence Nationale de Sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail doit rendre un rapport à la fin de l’année) ; il en va de même pour les ondes GPRS servant à la transmission des données, ce qui ajoute encore au brouillard d’ondes déjà existant dans notre environnement. En second lieu, se pose le problème du respect de la vie privée car les données personnelles ainsi recueillies peuvent être, si l’on n’y prend pas garde, piratées, transmises ou vendues à des tiers. Tout cela peut conduire à refuser l’installation de ces compteurs. Juridiquement, ce n’est pas possible : les compteurs n’appartiennent pas aux consommateurs mais aux collectivités locales qui se sont regroupées en syndicats, le plus souvent départementaux, pour concéder à ENEDIS la distribution publique de l’électricité. Or le contrat de concession garantit au concessionnaire « le droit exclusif d’exploiter le réseau de distribution de l’électricité et à cette fin d’établir les ouvrages nécessaires ». S’opposer au changement des compteurs constituerait donc une faute contractuelle, sauf si l’on peut établir, comme l’indique le principe de précaution, tel qu’il est consacré à l’article 5 de la Charte de l’environnement intégrée dans la Constitution, que l’installation de ces compteurs pourrait être la source, "bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, d’un dommage affectant de manière grave et irréversible l’environnement ». 




















mardi 25 octobre 2016

Sur les traces des coureurs des bois


En cet automne, prenons un peu de recul  avec les impressions d'un voyage au Canada d'un fidèle adhérent d'ACCLAME. Ses réflexions, bien qu'anciennes, restent toujours d'actualité.





 « Le bruit est le tonnerre des hommes, mais le silence est le tonnerre de l’Eternel. »

 Merveilleux silence des forêts canadiennes ! Le bruit de l’hydravion s’estompe peu à peu. Il vient de nous larguer, avec canoës et bagages, au cœur même de la « wilderness » québécoise par excellence, la réserve faunique de la Vérendrye, du nom de l’explorateur  contemporain de Louis XV. Un million d’hectares, plus de deux fois la Savoie,    4 000 lacs,        6 000 rivières, petite portion de l’immense Québec au million de lacs, grand comme presque trois fois et demie la France. Minuscule tête d’épingle face à la démesure continentale canadienne (19 fois la France, 10 millions de lacs dont 100 000 ne portent toujours pas de nom). Terres pionnières à l’aube du 21ème siècle ! Seul le cri mélancolique du huart peuple maintenant les solitudes et se perd dans les profondeurs insondables de la sylve originelle. Mais ce qui déroute le plus un Européen qui, pour la première fois, découvre cet univers, c’est l’impénétrabilité manifeste de la forêt. C’est en effet du ciel, à basse altitude, qu’on se convainc rapidement qu’à part le canoë ou l’hydravion, nul déplacement n’est possible. Amazonie du nord ! Devant, derrière, à droite, à gauche : ni routes, ni habitations. Où commence le ciel ? Où finit cette mer forestière dont les îles sont des lacs ? De temps à autre, le pilote nous fait découvrir un orignal en train  de brouter les renoncules aquatiques, l’envol  brusque du grand héron bleu ou de l’aigle à tête blanche. « Mais comment est-ce que vous entretenez tout ça ? » s’exclame bien involontairement l’un des passagers de l’expédition, agent de l’ONF de son état. Éclat de rire du « bush pilot » (pilote de brousse) qui, d’ahurissement, en lâche presque les commandes du petit « twin-otter ». « Mais mon cher ami, la Nature qui n’a jamais mal  fait les choses, s’entretient toute seule ! »

 En vérité, il a dû en falloir de l’audace et de la résistance à des Cartier, Cavelier de la Salle, Samuel de Champlain, Hernando de Soto et autres Davy Crockett pour affronter ainsi l’inconnu ! Mais laissons parler Bernard Clavel dans son roman Harricana : « La piste qui s’enfonce dans les immensités réunit tous les atouts pour ficeler un homme. Elle va de l’avant à travers bois et prairies sans jamais s’encombrer d’autres conventions que celles du voyage, sans se soucier d’autres lois que les siennes. Splendide cavale fougueuse, souvent rétive, à qui l’on doit livrer combat de l’aube à la nuit close, elle sait également se coucher, lascive, devant ceux qui l’aiment avec toute la tendresse et toutes les grâces. Tour à tour, fleuve, cascade, rapide, lac, toundra, forêt profonde ou marécage, elle est la même depuis des millénaires. Des générations de trappeurs l’ont adulée, jamais jaloux les uns des autres, tremblant seulement qu’on s’attaque à elle. Faite de douceur au printemps, lorsqu’elle veut inviter les hommes à la prendre, elle les assomme de chaleur et d’orages en été, leur coup le souffle en allumant des automnes où flambe sa chevelure de lumière… » Ah ! l’ivresse de partir dans les bois, avec beaucoup de rêve et un peu de farine… Aventuriers des temps modernes, nous n’aurons fait « que » 175 km, traversé 22 lacs, franchi 9 barrages de castors, en particulier celui où fut en partie tourné le film La guerre du feu. Aux menus, produits lyophilisés sophistiqués certes, mais aussi assiettées monumentales de bolets et de myrtilles (appelées là-bas…des bleuets !), et bien souvent le produit de la pêche. Et quelles pêches !!!  Messieurs les alevineurs en eaux troubles  hexagonales dénaturées, écoutez bien ce qui va suivre : on trouve dans ces contrées bénies le raton laveur, le chat pêcheur, le rat musqué, la loutre, le héron, le pygargue, l’ours noir, animaux bien souvent piscivores, et des …brochets d’un mètre cinquante ! Aucun alevinage !!!! La recette de ce miracle ? Elle est simple. Ou plutôt à la fois simple et compliquée ! L’homme y est rare, très rare. L’homme ! Cet hyper- prédateur, prédateur des habitats, donc fauteur d’irréversible … Et hélas, s’il a été  loisible de garder vierges des surfaces considérables, des étendues non moins gigantesques ont été saccagées. Ainsi l’Hydro-Québec, équivalent américain de notre EDF, a noyé une surface grande comme la Suisse. Au désespoir des peuples Cree et Inuit qui entretenaient depuis près de 65 000 ans des rapports d’harmonie avec  leur milieu (on ne parle pas là-bas d’ « Indiens », terme considéré à juste titre comme quelque peu insultant…) Shawinigan, Yamaska, Kipawa, Manachouane (« la rivière aux eaux claires »), Natashkwan (« là où les ours viennent boire »), Kebec (« là où le fleuve e rétrécit »), Ka-Na-Da (« cabane de rondins »), Mikilimakinak … Trésors de la langue algonquine dont la beauté sonore vous plonge dans l’extase ! Je crois bien que c’est depuis la rive de porphyre du lac Dragon que l’un de nous piqua un jour un monstre au bout de sa ligne. 1,20 mètre, 9 kilos, plus long que la pagaie du canoë, et réussit à le ramener. « On ne peut tuer ou ôter la vie sans remercier à chaque fois Kitché-Manito, le Créateur, de ce don qu’il nous fait : tout ce que la nature nous offre est sacré ! Garde en toi ce souvenir. Bien plus, sois reconnaissant, en ce moment même, d’être encore en vie ! Et même lorsque tu cueilles la moindre fleur, il faut la remercier de ce sacrifice… ! »

 André Gide avait dit : « Celui qui n’a pas le courage de quitter les rivages connus ne découvrira jamais de Nouveaux Mondes. » Compagnons d’aventure maintenant répartis aux quatre vents et qu’aura réunis pendant trois semaines un même amour de la nature sauvage, nous aurons franchi les portes invisibles de la « wilderness » et cette richesse demeurera  pour toujours en nous. Nous aurons bu directement  l’eau pure des lacs et contemplé des aubes de « premier matin du monde ». Certaines nuits  peuplées d’étoiles, nous aurons même écouté, retenant notre souffle, le chant mystique du loup qui s’élevait dans le lointain ! Visions évanescentes de quelque gros cervidé qui s’ébroue sur la rive d’en face, masse sombre indéfinissable qui disparaît parmi les troncs de thuyas, cliquetis des longs piquants du porc-épic dans un buisson de menthe sauvage…Mais aussi : trébucher sous les charges et sur le granit raboteux du bouclier canadien, patauger jusqu’à mi-cuisse dans la boue des sentiers de portage, être griffé par les branches des épinettes, subir l’impitoyable assaut des nuées de moucherons, moustiques, « maringouins », « brûlots » et autres simulies, sangsues, tout en sachant que, de part et d’autre peut-être, le glouton, le lynx, le baribal, vous regardent passer… s’attaquer  à la hache aux chablis obstructeurs. Et aussi : l’ambiance marine des grands lacs sombres, avec des creux où le canoë danse comme un bouchon. Faire partir coûte que coûte le feu, même sous la pluie battante ! Plier la tente encore humide…                                        « On ne peut tuer ou ôter la vie ». Dans l’énorme Boeing 747 qui rugit à 33 000 pieds, d’ouest en est, à la rencontre du soleil, consommant pendant son trajet autant d’oxygène qu’en produit pendant le même temps la forêt d’Orléans, et nous ramène vers ces Etats lamentablement désunis d’Europe en ce qui concerne la protection de la nature, régions beaucoup trop « vieilles », mesquines, si peu généreuses et couvertes d’usines à bois leur tenant lieu de forêt, je songe à ces choses…

André Girard-Dephanix        Rivière de l’orignal, août  1987         Chambéry  15 juillet 1996

mardi 22 mars 2016

LE BILLET DE MARS 2016

Dominique Bourg lors de son exposé














Vivre à l’anthropocène.
C'était le thème de notre soirée du 17 mars dernier au cinéma Victoria d'Aix-les-Bains, choisi par notre invité, le philosophe Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Nicolas-Hulot, que près de 200 personnes sont venues écouter avec intérêt.
Dans une intervention, claire et très documentée scientifiquement, Dominique Bourg a établi la réalité de ce que l’on appelle désormais l’anthropocène. Ce terme est utilisé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu, sur l’écosystème terrestre, un impact global significatif  (et donc enregistré dans les couches sédimentaires). Même si l’on ne peut pas déterminer précisément ce début (la révolution néolithique avec l’invention de l’agriculture et de l’élevage, la première révolution industrielle, les essais nucléaires terrestres ?),  toutes les observations montrent un changement notable dans la composition :
-          de la lithosphère (particulièrement des sols : concentration de métaux, augmentation de la teneur en azote et phosphore, diminution des microorganismes, à quoi on peut ajouter l’extraction des roches, des métaux, du sable, des ressources fossiles comme le charbon, le pétrole, le gaz, ce qui fait que l’homme déplace plus de matériaux à la surface de la Terre que les seules forces naturelles),
-           de l’hydrosphère (acidification des océans, pollution et/disparition des nappes aquifères, modification des cours d’eau : l’homme déplace plus de sédiments que les rivières),
-        de l’atmosphère (présence accrue de gaz à effet de serre ou autres et de nouvelles particules)
 Ce changement, dû sans conteste à l’activité humaine, frappe par son ampleur et sa rapidité. Nos conditions naturelles de vie dépendent d’un certain nombre de facteurs qui, depuis 10 000 ans, variaient peu à l’intérieur de limites indispensables à leur maintien. Or pour beaucoup  de ces facteurs, ces limites sont très largement dépassées, ce qui entraine un réchauffement climatique (nous venons de vivre l’hiver le plus chaud jamais enregistré, ce qui confirme une tendance générale bien établie), un rétrécissement de l’écoumène (terres habitées et exploitées par les hommes), une chute de la biodiversité (les naturalistes estiment qu’environ une espèce sur 50 000 s’éteint en un siècle ; or nous constatons un emballement de ces extinctions qui pourraient concerner 100 à 1000 espèces  par siècle en 2050 ; pour les seules espèces animales, le WWF a dressé une liste de quelque 4000 espèces d’oiseaux, de poissons, de mammifères, de reptiles et d ‘amphibiens ; elle montre que depuis 1970, les espèces terrestres ont diminué de 25%, les espèces marines de 28% et les animaux vivant en eau douce de 29%). 

 On peut sans doute atténuer la brutalité de ces changements mais il faudra en tenir compte. Plusieurs scénarios sont possibles :
-           Le premier consiste à faire confiance au développement technicoscientifique, soit pour réparer les dégâts constatés (avec la géo ingénierie, on pourrait par exemple capter le CO2, refroidir l’atmosphère,  etc... mais alors sans aucune garantie d’efficacité : l’homme n’est pas face à un système qu’il pourrait contrôler, il fait partie du système Terre et on ne peut prévoir comment le système, étant donné sa complexité, va réagir à l’activité désordonnée de l’un de ses éléments, si bien que le remède risque d’être pire que le mal), soit pour faire advenir un nouveau type d’humain issu de la rencontre entre les biotechnologies, les nanotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives (c’est l’objectif du transhumanisme qui promet de créer des êtres aux capacités largement augmentées dans tous les domaines et quasiment immortels, mais qui repose sur l’illusion de la toute-puissance de la technique et qui est vecteur d’inégalités sociales de plus en plus grandes, alors qu’on promeut par ailleurs le respect des droits humains, lesquels sont à comprendre non pas comme la défense des intérêts privés des individus mais comme la sauvegarde de la dignité de chacun).
-           La seconde possibilité est de protéger de vastes espaces  réservés à la vie sauvage et de concentrer la population humaine dans des villes hyper technicisées (d’un côté la technique, de l’autre la nature).
-          Le troisième scénario consiste à se débarrasser de la mentalité consumériste, favorisée par le progrès technique, qui fait croire que la vie de l’être humain peut être comblée par la possession et la consommation de biens matériels, pour retrouver la dimension spirituelle de l’existence, c’est-à-dire un idéal d’accomplissement de l’être humain, qu’il soit religieux ou philosophique, qui donne un sens et une valeur à ce que l’on fait (par exemple, pour Aristote, un être humain accompli est celui qui privilégie la recherche rationnelle de la vérité, l’engagement dans la cité, la dimension artistique). Dans cette perspective, on peut affronter sereinement les difficultés de l’anthropocène, parce que l’on applique le principe de précaution (on ne se focalise plus sur l’efficacité des moyens techniques, mais sur leur véritable utilité et sur leurs conséquences pour les individus et les sociétés), parce que  l’on prône une sobriété heureuse (avant de chercher à maîtriser la nature, il convient de chercher  à se maîtriser soi-même) et parce que l’on n’attend pas la croissance comme le sauveur suprême. D’ailleurs l’observation montre  d’une part que les jeunes générations sont réceptives à la dimension spirituelle de l’existence,  et d’autre part que la croissance n’offre plus ce qui la rendait désirable : le sentiment de bien-être, la création d’emplois et la réduction des inégalités. Ce scénario est porté de plus en  plus par de petits collectifs aux multiples initiatives dans différents domaines, comme le montre le film Demain.

Dans l’échange qui a suivi, plusieurs questions ont été abordées :
- la question de l’énergie, que l’on ne produit pas au sens strict du terme, mais que l’on transforme, stocke ou transporte (il n’y a donc pas de source d’énergie illimitée, même celle de fusion thermonucléaire  ; une croissance même modérée entraîne un épuisement très rapide des ressources, non seulement de la Terre, mais de l’univers observable tout entier ; l’estimation commune est de 5500 ans pour l’univers observable ; et même si elle était possible, une énergie illimitée inciterait les hommes à satisfaire sans compter tous leurs désirs, ce qui pose de redoutables problèmes éthiques et politiques) 
- la question de l’économie circulaire (le recyclage n’est efficace que si la croissance est faible) 
- la question de la démographie (il est vrai que la pression démographique accentue les problèmes : s’il n’y avait que 400 millions d’humains sur Terre, on ne parlerait pas d’anthropocène).  

En seconde partie de soirée, la projection du film Les saisons, proposait une nouvelle approche, plus  intuitive, plus sensible. La beauté des images, le spectacle des animaux sauvages, furent autant  d’occasions de s’émerveiller et de ressentir que nous sommes parties prenantes du système Terre. L’heureuse cohabitation des chasseurs-cueilleurs avec les animaux est à réinventer aujourd’hui.  "  Les animaux nous offrent l’ultime chance de rester humains et de ne pas être définitivement seuls. Les animaux ont appris au cours des millénaires à composer avec les hommes. A notre tour aujourd’hui d’apprendre, ou de réapprendre  à mieux les connaître et à leur faire une place. Il existe mille et une façons de respecter la nature et de vivre avec elle. "


Dominique Bourg entouré de membres d'Acclame

lundi 8 février 2016

LE BILLET DE FÉVRIER 2016

           Conférence de Dominique Bourg                                           Vivre à l’anthropocène                                                                                        
17 mars 2016 cinéma Victoria Aix-les-Bains  18h30

 ACCLAME se présente comme une association de défense de l’environnement. Cette notion d’environnement laisse penser à un entourage passif pour des êtres qui tenteraient d’y survivre, une sorte de décor, ou encore un stock de ressources dans lequel on pourrait puiser ce qui nous est nécessaire, mais qui nous resterait extérieur. Cette conception de l’environnement peut être critiquée à partir d’hypothèses comme celle de Gaïa, ou encore à partir de la notion d’anthropocène, qui nous conduisent  à admettre un système d’interactions entre l’animé et l’inanimé, entre l’homme et la nature (dont la représentation a d’ailleurs beaucoup  évolué au cours des siècles). Quelle est alors la place exacte de l’homme dans la Nature ? Quels rapports entretenir avec elle ? Doit-il chercher à en devenir le maître ou le serviteur ? Doit-il chercher à la protéger pour elle-même ou pour lui-même ? On pose là le problème du sens et de la valeur du combat écologique : qu’est-ce qui finalement est en jeu ? D’ailleurs, l’écologie doit-elle chercher à préserver et respecter la nature ou chercher à la reconstruire et à la réinventer (la restaurer par l’innovation technique par exemple)?
Mais dans notre pratique quotidienne nous constatons que le combat écologique n’est pas toujours prioritaire, quand il n’est pas dénigré. Comment se fait-il que les hommes, même s’ils prennent conscience d’une menace, n’y croient pas vraiment ? Dans ce domaine, la peur  (par exemple devant un changement radical de mode de vie) peut-elle être une bonne conseillère ?  Que faire pour changer les comportements ? A quel niveau convient-il d’agir : politique, économique, spirituel ? International, national, associatif ? Comment faire des choix alors que l’on se trouve dans l’incertitude ? Le principe de précaution suffit-il ? Que penser de la COP21 ?

Dominique Bourg réagira à toutes ces réflexions et interrogations dans sa conférence qu’il a intitulée      Vivre à l’anthropocène, cette nouvelle période de l’histoire de la Terre marquée de plus en plus par les conséquences de l’activité humaine. La conférence sera suivie de la projection du film de Jacques Perrin   Les Saisons qui nous invite, au plus près de la faune sauvage et en parcourant les 12000 ans qui nous séparent de la fin de la dernière ère glaciaire, à  « porter un regard nouveau sur la relation complexe et tumultueuse que nous entretenons avec la nature." 

Dominique Bourg

professeur à l'Université de Lausanne, vice-président de la Fondation Nicolas-Hulot, membre du comité de rédaction de la revue Esprit.
Ses recherches, au carrefour de la philosophie et de l’écologie, portent sur le développement durable et la décroissance, le principe de précaution, l'économie de fonctionnalité et ce que pourrait être une démocratie écologique


Pour une 6eme République écologique, D. Bourg et alii, Odile Jacob, 2011.
Du risque à la menace. Penser la catastrophe, co-direction avec P.B. Joly et A. Kaufmann, Paris, Puf, 2013.
La pensée écologique. Une Anthologie, avec Augustin Fragnière, Puf, 2014.

Dictionnaire de la pensée écologique, avec Alain Papaux, Puf, septembre 2015. 


Les Saisons 
20000 ans de notre histoire commune avec les animaux
Des moments de grâce absolue
Des images uniques, poétiques, apaisantes
Un cri d’alerte pour repense notre rapport à la nature







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