mardi 22 mars 2016

LE BILLET DE MARS 2016

Dominique Bourg lors de son exposé














Vivre à l’anthropocène.
C'était le thème de notre soirée du 17 mars dernier au cinéma Victoria d'Aix-les-Bains, choisi par notre invité, le philosophe Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Nicolas-Hulot, que près de 200 personnes sont venues écouter avec intérêt.
Dans une intervention, claire et très documentée scientifiquement, Dominique Bourg a établi la réalité de ce que l’on appelle désormais l’anthropocène. Ce terme est utilisé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu, sur l’écosystème terrestre, un impact global significatif  (et donc enregistré dans les couches sédimentaires). Même si l’on ne peut pas déterminer précisément ce début (la révolution néolithique avec l’invention de l’agriculture et de l’élevage, la première révolution industrielle, les essais nucléaires terrestres ?),  toutes les observations montrent un changement notable dans la composition :
-          de la lithosphère (particulièrement des sols : concentration de métaux, augmentation de la teneur en azote et phosphore, diminution des microorganismes, à quoi on peut ajouter l’extraction des roches, des métaux, du sable, des ressources fossiles comme le charbon, le pétrole, le gaz, ce qui fait que l’homme déplace plus de matériaux à la surface de la Terre que les seules forces naturelles),
-           de l’hydrosphère (acidification des océans, pollution et/disparition des nappes aquifères, modification des cours d’eau : l’homme déplace plus de sédiments que les rivières),
-        de l’atmosphère (présence accrue de gaz à effet de serre ou autres et de nouvelles particules)
 Ce changement, dû sans conteste à l’activité humaine, frappe par son ampleur et sa rapidité. Nos conditions naturelles de vie dépendent d’un certain nombre de facteurs qui, depuis 10 000 ans, variaient peu à l’intérieur de limites indispensables à leur maintien. Or pour beaucoup  de ces facteurs, ces limites sont très largement dépassées, ce qui entraine un réchauffement climatique (nous venons de vivre l’hiver le plus chaud jamais enregistré, ce qui confirme une tendance générale bien établie), un rétrécissement de l’écoumène (terres habitées et exploitées par les hommes), une chute de la biodiversité (les naturalistes estiment qu’environ une espèce sur 50 000 s’éteint en un siècle ; or nous constatons un emballement de ces extinctions qui pourraient concerner 100 à 1000 espèces  par siècle en 2050 ; pour les seules espèces animales, le WWF a dressé une liste de quelque 4000 espèces d’oiseaux, de poissons, de mammifères, de reptiles et d ‘amphibiens ; elle montre que depuis 1970, les espèces terrestres ont diminué de 25%, les espèces marines de 28% et les animaux vivant en eau douce de 29%). 

 On peut sans doute atténuer la brutalité de ces changements mais il faudra en tenir compte. Plusieurs scénarios sont possibles :
-           Le premier consiste à faire confiance au développement technicoscientifique, soit pour réparer les dégâts constatés (avec la géo ingénierie, on pourrait par exemple capter le CO2, refroidir l’atmosphère,  etc... mais alors sans aucune garantie d’efficacité : l’homme n’est pas face à un système qu’il pourrait contrôler, il fait partie du système Terre et on ne peut prévoir comment le système, étant donné sa complexité, va réagir à l’activité désordonnée de l’un de ses éléments, si bien que le remède risque d’être pire que le mal), soit pour faire advenir un nouveau type d’humain issu de la rencontre entre les biotechnologies, les nanotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives (c’est l’objectif du transhumanisme qui promet de créer des êtres aux capacités largement augmentées dans tous les domaines et quasiment immortels, mais qui repose sur l’illusion de la toute-puissance de la technique et qui est vecteur d’inégalités sociales de plus en plus grandes, alors qu’on promeut par ailleurs le respect des droits humains, lesquels sont à comprendre non pas comme la défense des intérêts privés des individus mais comme la sauvegarde de la dignité de chacun).
-           La seconde possibilité est de protéger de vastes espaces  réservés à la vie sauvage et de concentrer la population humaine dans des villes hyper technicisées (d’un côté la technique, de l’autre la nature).
-          Le troisième scénario consiste à se débarrasser de la mentalité consumériste, favorisée par le progrès technique, qui fait croire que la vie de l’être humain peut être comblée par la possession et la consommation de biens matériels, pour retrouver la dimension spirituelle de l’existence, c’est-à-dire un idéal d’accomplissement de l’être humain, qu’il soit religieux ou philosophique, qui donne un sens et une valeur à ce que l’on fait (par exemple, pour Aristote, un être humain accompli est celui qui privilégie la recherche rationnelle de la vérité, l’engagement dans la cité, la dimension artistique). Dans cette perspective, on peut affronter sereinement les difficultés de l’anthropocène, parce que l’on applique le principe de précaution (on ne se focalise plus sur l’efficacité des moyens techniques, mais sur leur véritable utilité et sur leurs conséquences pour les individus et les sociétés), parce que  l’on prône une sobriété heureuse (avant de chercher à maîtriser la nature, il convient de chercher  à se maîtriser soi-même) et parce que l’on n’attend pas la croissance comme le sauveur suprême. D’ailleurs l’observation montre  d’une part que les jeunes générations sont réceptives à la dimension spirituelle de l’existence,  et d’autre part que la croissance n’offre plus ce qui la rendait désirable : le sentiment de bien-être, la création d’emplois et la réduction des inégalités. Ce scénario est porté de plus en  plus par de petits collectifs aux multiples initiatives dans différents domaines, comme le montre le film Demain.

Dans l’échange qui a suivi, plusieurs questions ont été abordées :
- la question de l’énergie, que l’on ne produit pas au sens strict du terme, mais que l’on transforme, stocke ou transporte (il n’y a donc pas de source d’énergie illimitée, même celle de fusion thermonucléaire  ; une croissance même modérée entraîne un épuisement très rapide des ressources, non seulement de la Terre, mais de l’univers observable tout entier ; l’estimation commune est de 5500 ans pour l’univers observable ; et même si elle était possible, une énergie illimitée inciterait les hommes à satisfaire sans compter tous leurs désirs, ce qui pose de redoutables problèmes éthiques et politiques) 
- la question de l’économie circulaire (le recyclage n’est efficace que si la croissance est faible) 
- la question de la démographie (il est vrai que la pression démographique accentue les problèmes : s’il n’y avait que 400 millions d’humains sur Terre, on ne parlerait pas d’anthropocène).  

En seconde partie de soirée, la projection du film Les saisons, proposait une nouvelle approche, plus  intuitive, plus sensible. La beauté des images, le spectacle des animaux sauvages, furent autant  d’occasions de s’émerveiller et de ressentir que nous sommes parties prenantes du système Terre. L’heureuse cohabitation des chasseurs-cueilleurs avec les animaux est à réinventer aujourd’hui.  "  Les animaux nous offrent l’ultime chance de rester humains et de ne pas être définitivement seuls. Les animaux ont appris au cours des millénaires à composer avec les hommes. A notre tour aujourd’hui d’apprendre, ou de réapprendre  à mieux les connaître et à leur faire une place. Il existe mille et une façons de respecter la nature et de vivre avec elle. "


Dominique Bourg entouré de membres d'Acclame

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